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Le recueil

carmina01Le recueil "Carmina Burana" a  été rédigé dans la première partie du XIII° siècle, sans doute au Tyrol ou en Carinthie. Il regroupe un grand nombre de pièces d'origine et d'époques différentes.
Ce sont là des chants de "Goliards", ces clercs et"escoliers" en rupture de ban qui se déplaçaient à travers l'Europe.

Localisation

Bien que compilés en terre germanique, ces chants sont en français, en allemand, mais surtout en latin. Ils circulaient sans doute à travers l'Europe, colportés par des clercs en rupture de ban: les GOLIARDS.

Période de composition

Sans doute entre le XI° et le XIII° siècle. Le manuscrit remonte à la fin du XIII° siècle.

Les Goliards

Les Goliards et les clercs vagants étaient des étudiants ayant souvent reçu les ordres mineurs, mais n'ayant pu se fixer à un endroit et  contraints à se déplacer à travers l'Europe. Le latin était leur langue de communication.

Les influences

Toutes les influences contemporaines se retrouvent dans ces chants: versus de Saint Martial de Limoges, chants de troubadours ou de Minnesanger,....  Les auteurs étaient sans conteste au courant de l'actualité musicale du temps. On retrouve certaines mélodies dans d'autres sources: chants de Minnesänger, de l'Archipoète de Cologne, de Philippe Le Chancelier. Les Goliards n'hésitaient pas à placer des textes de circonstance sur des mélodies déjà existante.
Certains morceaux sont polyphoniques, à 2 ou 3 voix.

Les thèmes

Les goliards ont associé à leur nom une image assez tapageuse! Parmi les thèmes les plus fréquents: l'amour, l'ivresse, le jeu, la parodie de cérémonies religieuses, mais aussi la critique du système social en place et de la décadence morale qui y est liée.


Le texte

Cantiones profanae
Cantoribus et choris cantandae
Comitantibus instrumentis
Atque imaginibus magicis

Chants profanes
Pour solistes et chœur
Accompagnés d'instruments
Et d'images magiques.

 

1- O Fortuna

2- Fortune plango vulnera

3- Veris leta facies

4- Omnia sol temperat

5- Ecce gratum

6- Tanz

7- Floret silva nobilis

8- Chramer, gip die varwe mir,

9- Swaz hie gat umbe,

10- Were diu werlt alle min

11- Estuans interius

12- Olim lacus colueram,

13- Ego sum abbas Cucaniensis

14- In taberna quando sumus

15- Amor volat undique,

16- Dies, nox et omnia

17- Stetit puella

18- Circa mea pectora

19- Si puer cum puellula

20- Veni, veni, venias

21- In truitina mentis dubia

22- Tempus es iocundum,

23- Dulcissime, Ah!

24- Ave formosissima,

25- O Fortuna

 

 

O Fortuna Imperatrix Mundi

Ô Fortune impératrice du monde

O Fortuna

velut luna
statu variabilis,
semper crescis
aut decrescis;
vita detestabilis
nunc obdurat
et tunc curat
ludo mentis aciem,
egestatem,
potestatem
dissolvit ut glaciem.

Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
status malus,
vana salus
semper dissolubilis,
obumbrata
et velata
michi quoque niteris;
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.

Sors salutis
et virtutis
michi nunc contraria,
est affectus
et defectus
semper in angaria.
Hac in hora
sine mora
corde pulsum tangite;
quod per sortem
sternit fortem,
mecum omnes plangite!

Ô Fortune !

Comme la lune
Changeante,
Toujours tu croîs
Et décroîts ;
La détestable vie
Tantôt assombrit
Tantôt éclaire
L'esprit, par jeu ;
Indigence,
Opulence,
Elle les fond comme glace.

Sort monstrueux
Et vide
Toi roue tournoyante,
Ta nature est perverse
Vain est le bonheur
Toujours en dissolution ;
Dans l'ombre
Et voilée,
Tu m'éclaires moi aussi ;
Maintenant, par jeu,
J'apporte mon dos nu
A ta scélératesse.

Sort sain
Et fort
Qui m'est aujourd'hui contraire,
Il est fait
Et défait
Toujours dans l'esclavage.
A cette heure
Sans tarder
Frappe la corde vibrante ;
Puisque le sort
Abat le fort,
Pleurez tous avec moi !

Fortune plango vulnera

stillantibus ocellis
quod sua michi munera
subtrahit rebellis.
Verum est, quod legitur,
fronte capillata,
sed plerumque sequitur
Occasio calvata.

In Fortune solio
sederam elatus,
prosperitatis vario
flore coronatus;
quicquid enim florui
felix et beatus,
nunc a summo corrui
gloria privatus.

Fortune rota volvitur:
descendo minoratus;
alter in altum tollitur;
nimis exaltatus
rex sedet in vertice
caveat ruinam!
nam sub axe legimus
Hecubam reginam.

Je pleure les blessures de la Fortune

Avec des yeux ruisselants ;
Ce qu'elle m'a prodigué,
Perverse, elle me le retire.
Ce qu'on lit est vrai :
Cette belle bouclée,
Quand on veut la saisir,
Elle est chauve.

Sur le siège de la fortune,
J'étais assis en haut,
Des fleurs bariolées de la prospérité
Couronné ;
Mais, tout prospère que je fus,
Choyé et béni,
Du sommet alors je chus,
Dépouillé de la gloire.

La roue de la fortune a tourné ;
Je descends, déchu ;
Un autre est porté vers le haut ;
Démesurément exalté,
Le roi siège au faîte,
Qu'il prenne garde de tomber !
Car sous l'axe nous lisons :
Hécube reine.

 

Primo vere

 

Printemps

Veris leta facies

Mundo propinatur,
hiemalis acies
victa iam fugatur,
in vestitu vario
Flora principatur,
nemorum dulcisono

que cantu celebratur. Ah !

Flore fusus gremio
Phebus novo more
risum dat, hac vario
iam stipate flore.
Zephyrus nectareo
spirans in odore.
Certatim pro bravio
curramus in amore. Ah!

Cytharizat cantico
dulcis Philomena,
flore rident vario
prata iam serena,
salit cetus avium
silve per amena,
chorus promit virgin
iam gaudia millena. Ah

Les traits souriants du printemps

Se tournent vers le monde ;
Déjà l'hiver acéré
Fuit en déroute ;
En robe diaprée
Flore préside
Et doucement la forêt
Murmure sa louange : Ah !

Etendu sur le sein de Flore,
Phébus à nouveau
Rit, assailli
De fleurs sans nombre.
Zéphyr respire
Leur suave parfum.
Hâtons-nous de concourir
Pour le prix de l'amour : Ah !

Le doux rossignol
Fait sonner sa lyre ;
Déjà rient
Les clairs prés fleuris ;
La volée des oiseaux s'élève
Des bois enchanteurs ;
Et le chœur des jeunes filles
Annonce mille délices. Ah !

Omnia sol temperat

purus et subtilis,
novo mundo reserat
faciem Aprilis,
ad amorem properat
animus herilis
et iocundis imperat
deus puerilis.

Rerum tanta novitas
in solemni vere
et veris auctoritas
jubet nos gaudere;
vias prebet solitas,
et in tuo vere
fides est et probitas
tuum retinere.

Ama me fideliter,
fidem meam noto:
de corde totaliter
et ex mente tota
sum presentialiter
absens in remota,
quisquis amat taliter,
volvitur in rota.

Le soleil tempère tout,

Clair et fin ;
Au monde à nouveau il dévoile
Le visage d'avril ;
Vers l'amour se porte
Le cœur de l'homme
Le dieu enfant
Gouverne toute joie.

Pareil renouveau
Dans la glorieuse saison,
Par l'ordre du printemps,
Nous commande la joie ;
Il t'ouvre les chemins connus
Et, en ton renouveau,
Il est juste et bon
Que tu jouisses de ton bien.

Aime-moi fidèlement,
Et vois ma fidélité :
De tout mon cœur,
De tout mon esprit,
Je suis près de toi,
Même quand je suis loin.
Quiconque aime ainsi
Tourne aussi sur la roue.

Ecce gratum

et optatum
Ver reducit gaudia,
purpuratum
floret pratum,
Sol serenat omnia.
Iamiam cedant tristia!
Estas redit,
nunc recedit
Hyemis sevitia. Ah !

Iam liquescit
et decrescit
grando, nix et cetera;
bruma fugit,
et iam sugit
Ver Estatis ubera;
illi mens est misera,
qui nec vivit,
nec lascivit
sub Estatis dextera. Ah !

Gloriantur
et letantur
in melle dulcedinis,
qui conantur,
ut utantur
premio Cupidinis:
simus jussu Cypridis
gloriantes
et letantes
pares esse Paridis. Ah !

Voici le cher

Et désiré
Printemps qui ramène la joie ;
Le pré s'empourpre
De fleurs,
Le soleil sourit sur toutes choses ;
Déjà les chagrins se dissipent !
L'été revient,
Maintenant fuit
Le cruel hiver. Ah !

Déjà fondent
Et s'évaporent
Glaces, neige et cetera ;
Plus de frimas ;
Le printemps suce
Le sein de l'été.
Qu'il est à plaindre,
Celui qui ne vit pas
Ni ne s ‘ébat
Sous la douce loi de l'été. Ah !

Qu'ils goûtent gloire
Et bonheur
Doux comme miel
Ceux qui osent
Aspirer
Au prix de Cupidon.
Soumettons-nous à l'ordre de Vénus
Qui est de goûter gloire
Et bonheur
A l'exemple de Pâris. Ah !

 

Uf dem Anger

 

Sur le pré

Tanz

Danse

Floret silva nobilis

floribus et foliis.
Ubi est antiquus
meus amicus? Ah !
Hinc equitavit,
eia, quis me amabit? Ah !

Floret silva undique,
nah min gesellen ist mir we.
Gruonet der walt allenthalben,
wa ist min geselle alse lange? Ah!
Der ist geriten hinnen,
o wi, wer sol mich minnen? Ah!

La noble forêt se couvre

De fleurs et de feuilles.
Où est
Mon ami d'hier ? Ah !
Il a cavalé loin ;
Hélas, qui m'aimera ? Ah !

La forêt partout fleurit ;
Je languis auprès de mon amour.
Partout verdoient les frondaisons.
Pourquoi mon aimé tarde-t-il ? Ah !
Il est pari loin, cavalant.
Hélas qui m'aimera ? Ah !

Chramer, gip die varwe mir,

die min wengel roete,
damit ich die jungen man
an ir dank der minnenliebe noete.

Seht mich an,
jungen man!
lat mich iu gevallen!

Minnet, tugentliche man,
minnecliche frouwen!
minne tuot iu hoch gemout
unde lat iuch in hohen eren schouwen

Seht mich an
jungen man!
lat mich iu gevallen!

Wol dir, werit, daz du bist
also freudenriche!
ich will dir sin undertan
durch din liebe immer sicherliche.

Seht mich an,
jungen man!
lat mich iu gevallen!

Marchand, donne-moi du fard,

Pour rougir mes joues,
Afin que les jeunes gens
Ne puissent me résister.

Regardez-moi bien,
Jeunes gens !
Laissez-vous séduire !

Dignes seigneurs, aimez
Les dames aimables !
L'amour vous ennoblira
Et vous serez honorés.

Regardez-moi bien,
Jeunes gens !
Laissez-vous séduire !

Salut à toi, monde si plein
De joies !
Je te rendrai toujours grâces
De tes largesses.

Regardez-moi bien,
Jeunes gens !
Laissez-vous séduire !

 

Reie

 

Ronde

Swaz hie gat umbe,

daz sint alles megede,
die wellent an man
allen disen sumer gan! Ah! Sla !

Chume, chum, geselle min,
ih enbite harte din,
ih enbite harte din,
chume, chum, geselle min.
Suzer rosenvarwer munt,
chum un mache mich gesunt
chum un mache mich gesunt,
suzer rosenvarwer munt

Swaz hie gat umbe,
daz sint alles megede,
die wellent an man
allen disen sumer gan! Ah! Sla !

Ce qui tourne là en rond,

Ce sont des jeunes filles ;
Elles croient pouvoir se passer
Tout l'été d'un amoureux. Ah ! Sla !

Viens, viens, cher amour,
Je languis après toi,
Je languis après toi,
Viens, viens, cher amour.
Douces lèvres roses,
Venez me rendre la santé,
Venez me rendre la santé,
Douces lèvres roses.

Ce qui tourne là en rond,
Ce sont des jeunes filles ;
Elles croient pouvoir se passer
Tout l'été d'un amoureux. Ah ! Sla !

Were diu werlt alle min

von deme mere unze an den Rin
des wolt ih mih darben,
daz diu chunegin von Engellant
lege an minen armen. Hei!

Si tout l'univers était à moi,

De la mer jusqu'au Rhin,
J'y renoncerais avec joie
Pour tenir dans me bras
La reine d'Angleterre. Hei !

 

In taberna

 

A la taverne

Estuans interius

ira vehementi
in amaritudine
loquor mee menti:
factus de materia,
cinis elementi
similis sum folio,
de quo ludunt venti.

Cum sit enim proprium
viro sapienti
supra petram ponere
sedem fundamenti,
stultus ego comparor
fluvio labenti,
sub eodem tramite
nunquam permanenti.

Feror ego veluti
sine nauta navis,
ut per vias aeris
vaga fertur avis;
non me tenent vincula,
non me tenet clavis,
quero mihi similes
et adiungor pravis.

Mihi cordis gravitas
res videtur gravis;
iocis est amabilis
dulciorque favis;
quicquid Venus imperat,
labor est suavis,
que nunquam in cordibus
habitat ignavis.

Via lata gradior
more iuventutis
inplicor et vitiis
immemor virtutis,
voluptatis avidus
magis quam salutis,
mortuus in anima
curam gero cutis.

Dévoré

De rage
Et d'amertume,
Je me tiens ce discours :
Je suis fait de matière,
De cendres,
Pareil à la feuille,
Dont se jouent les vents.

Si le sage
A coutume
De bâtir sa demeure
Sur le roc,
Moi, le fou, je suis
Comme la rivière qui coule
Et en son cours
Jamais ne s'arrête.

Je suis emporté
Comme vaisseau sans pilote,
Comme oiseau dérivant
Dans les airs ;
Rien ne me retient,
Ni verrou, ni clef ;
Cherchant mes semblables,
Je m'associe aux vauriens.

Mon cœur lourd
Pèse en moi.
Qu'il est doux de rire,
Plus doux que le rayon de miel.
Délicieux est le labeur
Que commande Vénus
Qui jamais n'habita
Les cœurs engourdis.

Ma roue est large
Comme le veut ma jeunesse ;
Je me livre à mes vices,
Oublieux des vertus,
Plus désireux de voluptés
Que de salut ;
Morte est mon âme,
Ma peau seule m'importe.

Olim lacus colueram,

olim pulcher extiteram,
dum cignus ego fueram.

Miser, miser!
modo niger
et ustus fortiter!

Girat, regirat garcifer;
me rogus urit fortiter;
propinat me nunc dapifer,

Miser, miser!
modo niger
et ustus fortiter!

Nunc in scutella iaceo,
et volitare nequeo
dentes frendentes video:

Miser, miser!
modo niger
et ustus fortiter!

Jadis, j'habitais le lac,

Jadis, j'avais belle allure,
Quand j'étais cygne.

Hélas, hélas !
Maintenant noir
Et solidement rôti, je me fais !

Il tourne et tourne, le tournebroche ;
A belles flammes flambe mon bûcher ;
Maintenant s'approche le marmiton.

Hélas, hélas !
Maintenant noir
Et solidement rôti, je me fais !

Maintenant je gis sur le plat,
Je ne peux plus m'envoler,
Je vois des dents grinçantes.

Hélas, hélas !
Maintenant noir
Et solidement rôti, je me fais !

Ego sum abbas Cucaniensi

et consilium meum est cum bibulis,
et in secta Decii voluntas mea est,
et qui mane me quesierit in taberna,
post vesperam nudus egredietur,
et sic denudatus veste clamabit:

Wafna, wafna!
quid fecisti sors turpassi
Nostre vite gaudia
abstulisti omnia! Haha!

Je suis l'abbé de Cocagne

Et tiens mon chapitre avec les buveurs ;
Je suis sectateur de Decius,
Et qui me demande le matin à la taverne
Se retrouve le soir dépouillé,
Et ainsi nu crie :

Hélas ! Hélas !
Qu'as-tu fait, exécrable fortune ?
Tu nous a pris
Tous les plaisirs de la vie ! Haha !

In taberna quando sumus

non curamus quid sit humus,
sed ad ludum properamus,
cui semper insudamus.
Quid agatur in taberna
ubi nummus est pincerna,
hoc est opus ut queratur,
si quid loquar, audiatur.

Quidam ludunt, quidam bibunt,
quidam indiscrete vivunt.
Sed in ludo qui morantur,
ex his quidam denudantur
quidam ibi vestiuntur,
quidam saccis induuntur.
Ibi nullus timet mortem
sed pro Baccho mittunt sortem:

Primo pro nummata vini,
ex hac bibunt libertini;
semel bibunt pro captivis,
post hec bibunt ter pro vivis,
quater pro Christianis cunctis
quinquies pro fidelibus defunctis,
sexies pro sororibus vanis,
septies pro militibus silvanis.

Octies pro fratribus perversis,
nonies pro monachis dispersis,
decies pro navigantibus
undecies pro discordaniibus,
duodecies pro penitentibus,
tredecies pro iter agentibus.
Tam pro papa quam pro rege
bibunt omnes sine lege.

Bibit hera, bibit herus,
bibit miles, bibit clerus,
bibit ille, bibit illa,
bibit servis cum ancilla,
bibit velox, bibit piger,
bibit albus, bibit niger,
bibit constans, bibit vagus,
bibit rudis, bibit magnus.

Bibit pauper et egrotus,
bibit exul et ignotus,
bibit puer, bibit canus,
bibit presul et decanus,
bibit soror, bibit frater,
bibit anus, bibit mater,
bibit ista, bibit ille,
bibunt centum, bibunt mille.

Parum sexcente nummate
durant, cum immoderate
bibunt omnes sine meta.
Quamvis bibant mente leta,
sic nos rodunt omnes gentes
et sic erimus egentes.
Qui nos rodunt confundantur
et cum iustis non scribantur.

Io io io io io io io io io !

Quand nous sommes à la taverne,

Nous n'avons cure de la tombe,
Nous nous jetons sur le jeu
Qui nous fait toujours suer à grosses gouttes.
Si vous désirez savoir
Ce qui se passe à la taverne
Où l'argent est sommelier,
Ecoutez ce que je dis :

Les uns jouent, les autres boivent,
D'autres vivent sans frein.
Mais de ceux qui se livrent au jeu,
L'un se retrouve tout nu,
L'autre somptueusement vêtu,
Et le troisième dans un sac.
Ici, nul ne craint la mort,
Mais tous misent pour Bacchus.

Tout d'abord, c'est au marchand de vin
Que boivent les libertins,
On boit une fois aux prisonniers,
Trois fois aux vivants,
Quatre fois à toute la Chrétienté,
Cinq fois aux fidèles défunts,
Six fois aux vierges folles,
Sept fois aux brigands des bois,

Huit fois aux frères égarés,
Neuf fois aux moines errants,
Dix fois aux marins,
Onze fois aux bagarreurs,
Douze fois aux pénitents,
Treize fois aux voyageurs
Tant pour le pape que pour le roi,
Tous boivent sans loi.

La dame boit, le seigneur boit,
Le soldat boit, le clerc boit,
Celui-là boit, celle-là boit,
Le valet comme la servante,
Le vif boit, le pauvre boit,
Le blanc boit, le noir boit,
Le sédentaire et le vagabond,
L'ignare boit, le docteur boit.

Le pauvre boit et le malade,
L'étranger et l'inconnu,
L'enfant boit, le vieillard boit,
Le prélat et le diacre,
La sœur boit, le frère boit,
L'aïeule boit, la mère boit,
Celui-ci boit, celui-là boit,
Cent boivent, mille boivent.

Six cents écus ne suffisent pas
Pur étancher une soif sans fond
Si tous boivent sans frein.
Quoi qu'ils boivent, l'esprit joyeux,
Tout le monde nous dénigre,
Et ainsi nous allons dépourvus.
Qu'ils soient confondus ceux qui nous diffament
Et leurs noms rayés du livre des justes.

Io io io io io io io io io !

 

Cour d'amours

 

Cour d'amours

Amor volat undique

captus est libidine.
Iuvenes, iuvencule
coniunguntur merito.

Siqua sine socio,
caret omni gaudio;
tenet noctis infima
sub intimo
cordis in custodia:

fit res amarissima !

L'amour vole partout

Prisonnier du désir.
Jouvenceaux, jouvencelles,
S'unissent comme il se doit.

Si une fille est sans ami,
Toute joie lui fait défaut,
Elle tient une nuit profonde
cachée
Dans son cœur

C'est une chose bien amère !

Dies, nox et omnia

michi sunt contraria;
virginum colloquia
me fay planszer,
oy suvenz suspirer,
plu me fay temer.

O sodales, ludite,
vos qui scitis dicite
michi mesto parcite,
grand ey dolur,
attamen consulite
per voster honur.

Tua pulchra facies
me fay planszer milies,
pectus habet glacies.
A remender
statim vivus fierem
per un baser.

Jour, nuit et tout

Me sont contraires,
Le bavardage des jeunes filles
Me fait pleurer
Et souvent soupirer
Et toujours m'inquiéter.

Ô amis, vous me raillez,
Vous qui parlez d'après votre science,
Epargnez-moi malheureux,
Grande est ma douleur,
Mais conseillez-moi
Par votre honneur.

Ton beau visage
Me fait verser mille pleurs,
Ton cœur est de glace,
En guise de remède,
Un baiser
Me rendrait la vie.

Stetit puella

rufa tunica;
si quis eam tetigit,
tunica crepuit.
Eia.

Stetit puella
tamquam rosula;
facie splenduit,
os eius fioruit.
Eia.

Une jeune fille

En tunique rouge;
Si on y touche,
La tunique claque.
Eia !

Une jeune fille
Comme une petite rose ;
Le visage radieux
La bouche en fleur.
Eia !

Circa mea pectora

multa sunt suspiria
de tua pulchritudine,
que me ledunt misere. Ah !

Manda liet,
Manda liet
min geselle
chumet niet.

Tui lucent oculi
sicut solis radii,
sicut splendor fulguris
lucem donat tenebris. Ah!

Manda liet
Manda liet,
min geselle
chumet niet.

Vellet deus, vallent dii
quod mente proposui:
ut eius virginea
reserassem vincula. Ah !

Manda liet,
Manda liet,
min geselle
chumet niet.

Mon sein s'emplit

De beaucoup de soupirs
Pour ta beauté
Qui me fait languir. Ah !

Manda liet,
Manda liet,
Mon amour
Ne vient pas.

Tes yeux brillent
Comme rayons de soleil,
Comme l'éclair fulgurant
Qui illumine les ténèbres. Ah !

Manda liet,
Manda liet,
Mon amour
Ne vient pas.

Que le dieu, que les dieux
M'accordent mon désir
Dénouer les liens
De sa virginité. Ah !

Manda liet,
Manda liet,
Mon amour
Ne vient pas.

Si puer cum puellula

moraretur in cellula,
felix coniunctio.
Amore suscrescente
pariter e medio
avulso procul tedio,
fit ludus ineffabilis
membris, lacertis, labii

Si un garçon avec une fille

Se trouvent seuls dans une chambre,
Ils s'unissent avec transport.
Leur passion croît
Et toute modestie est
Mise de côté
Un plaisir ineffable se répand
Dans leurs bras, jambes et lèvres.

Veni, veni, venias

ne me mori facias,
hyrca, hyrce, nazaza,
trillirivos...

Pulchra tibi facies
oculorum acies,
capillorum series,
o quam clara species!

Rosa rubicundior,
lilio candidior
omnibus formosior,
semper in te glorior!

Viens, viens, viens,

Ne me fais pas mourir ;
Hycra, hycre, nazara,
Trillirivos...

Ton joli visage,
Tes yeux brillants,
Tes cheveux nattés,
Ah, quelle beauté !

Plus incarnate que la rose ,
Plus blanche que le lis,
Plus belle que toutes,
Toujours mon orgueil !

In truitina mentis dubia

fluctuant contraria
lascivus amor et pudicitia.

Sed eligo quod video,
collum iugo prebeo:
ad iugum tamen suave transeo.

Entre les deux

mon cœur balance :
lascivité ou pudeur.

Mais je choisis ce que je vois,
Et mets mon cou sous le joug,
Le joug joli.

Tempus es iocundum,

o virgines,
modo congaudete
vos iuvenes.
Oh, oh, oh,
totus floreo,
iam amore virginali totus ardeo,
novus, novus amor est, quo pereo.

Mea me confortat promissio,
mea me deportat negatio.

Oh, oh, oh
totus floreo
iam amore virginali totus ardeo,
novus, novus amor est, quo pereo.

Tempore brumali vir patiens,
animo vernali lasciviens.

Oh, oh, oh,
totus floreo,
iam amore virginali totus ardeo,
novus, novus amor est, quo pereo.

Mea mecum ludit virginitas,
mea me detrudit simplicitas.

Oh, oh, oh,
totus floreo,
iam amore virginali totus ardeo,
novus, novus amor est, quo pereo.

Veni, domicella, cum gaudio,
veni, veni, pulchra, iam pereo.

Oh, oh, oh,
totus floreo,
iam amore virginali totus ardeo,
novus, novus amor est, quo pereo.

Le temps est au beau,

Ô jeunes filles,
Venez-vous réjouir,
Ô jeunes gens !
Oh ! Oh! Oh!
Je fleuris tout entier,
Je brûle tout entier d'un amour virginal !
De mon nouvel amour, je périrai !

Un oui me réjouit,
Un non me désole.

Oh ! Oh! Oh!
Je fleuris tout entier,
Je brûle tout entier d'un amour virginal !
De mon nouvel amour, je périrai !

En hiver patience,
Au printemps licence.

Oh ! Oh! Oh!
Je fleuris tout entier,
Je brûle tout entier d'un amour virginal !
De mon nouvel amour, je périrai !

Ma virginité me taquine,
Ma simplicité me préserve.

Oh ! Oh! Oh!
Je fleuris tout entier,
Je brûle tout entier d'un amour virginal !
De mon nouvel amour, je périrai !

Viens, ma mignonne, te réjouir,
Viens, viens, ma belle, déjà je meurs.

Oh ! Oh! Oh!
Je fleuris tout entier,
Je brûle tout entier d'un amour virginal !
De mon nouvel amour, je périrai !

Dulcissime, Ah!

totam tibi subdo me!

A toi très cher,

Toute entière je m'abandonne.

 

Blanziflor et Helena

 

Blanchefleur et Hélène

Ave formosissima,

gemma pretiosa,
ave decus virginum,
virgo gloriosa,
ave mundi luminar,
ave mundi rosa,
Blanziflor et Helena,
Venus generosa!

Salut à toi, ô toute belle,

Précieux joyau,
Salut, honneur des vierges ;
Vierge glorieuse,
Salut, lumière du monde,
Salut rose du monde,
Blanchefleur et Hélène,
Noble Vénus !

O Fortuna

velut luna
statu variabilis,
semper crescis
aut decrescis;
vita detestabilis
nunc obdurat
et tunc curat
ludo mentis aciem,
egestatem,
potestatem
dissolvit ut glaciem.

Sors immanis
et inanis,
rota tu volubilis,
status malus,
vana salus
semper dissolubilis,
obumbrata
et velata
michi quoque niteris;
nunc per ludum
dorsum nudum
fero tui sceleris.

Sors salutis
et virtutis
michi nunc contraria,
est affectus
et defectus
semper in angaria.
Hac in hora
sine mora
corde pulsum tangite;
quod per sortem
sternit fortem,
mecum omnes plangite!

Ô Fortune !

Comme la lune
Changeante,
Toujours tu croîs
Et décroîts ;
La détestable vie
Tantôt assombrit
Tantôt éclaire
L'esprit, par jeu ;
Indigence,
Opulence,
Elle les fond comme glace.

Sort monstrueux
Et vide
Toi roue tournoyante,
Ta nature est perverse
Vain est le bonheur
Toujours en dissolution ;
Dans l'ombre
Et voilée,
Tu m'éclaires moi aussi ;
Maintenant, par jeu,
J'apporte mon dos nu
A ta scélératesse.

Sort sain
Et fort
Qui m'est aujourd'hui contraire,
Il est fait
Et défait
Toujours dans l'esclavage.
A cette heure
Sans tarder
Frappe la corde vibrante ;
Puisque le sort
Abat le fort,
Pleurez tous avec moi !


Le pourquoi de l'Oeuvre

Première Partie

O Fortuna - Chœur

Le célèbre prologue est un hommage à la déesse du Destin, Fortuna, qui soumet chaque être à ses lois. Ce destin est une roue qui tourne. ..L' ostinato rythmique donne un aspect incantatoire à cette musique, tel que le désirait Orff.

Fortune plango vulnera - Chœur

" Les yeux humides, je me plains des coups de la Fortune ", dit le texte. Orff emploie ici une forme répétitive à couplets, évoquant ainsi, par le constant retour du début, la régularité de la roue qui tourne.

Veris leta facies - Chœur

Très dépouillée, en un style grégorien, est cette invocation au printemps. Celui-ci verse un baume sur le monde et le rude hiver vaincu doit prendre la fuite.

angelotOmnia sol temperat - Baryton solo

Le renouveau du printemps appelle à la joie et aux plaisirs de l'amour, sans pudeur ni retenue.

Ecce gratum - Chœur

Voici le printemps. Suivons l'ordre de Cypris. Les trois couplets se succèdent de plus en plus rapidement pour atteindre un extraordinaire paroxysme.

Danse instrumentale

Ici commence le seconde volet de la première partie, entièrement dévolue au style de danses et chants populaires.

Floret silva - Chœur

" Où est mon ami de l'an passé ? Hélas, qui m'aimera maintenant ? ". Dans le style Ländler, on assiste à une ronde paysanne.

Chramer, gip die varwe mir - Chœur

" Marchand, donne-moi du fard à joues afin que les garçons ne puissent me résister ". Le petit chœur évoque la jeune fille pleine d'élan. On entend les grelots de la carriole du marchand qui passe. Par moments, le chœur entier interprète bouches fermées les rêves de la jeune vierge.

fille

Ronde - Chœur

Une ronde lente annonce le court triptyque suivant, chanté en vieil allemand : Swaz hie gat umbe : Les aguicheuses virevoltent furieusement et font croire qu'elles peuvent se passer tout l'été d'un amoureux. Chume, chum geselle min : Mais dans leur for intérieur, elles soupirent: " Viens, cher amour ". Swaz hie gat umbe : Le tourbillon des jeunes filles reprend, narguant toujours les garçons pleins d'envie.

Were diu werlt alle min - Chœur

C'est une blague qui clôt ce début. Un fanfaron clame: " Si l'univers m'appartenait, j'y renoncerais pour tenir en mes bras la Reine d'Angleterre, Hei ! ".

Deuxième Partie

Estuans interius - Baryton

Un homme réfléchit à sa condition d'humain, sur l'inanité des choses et des êtres...

assis

Olim Jacus colueram - Contre-Ténor, Chœur

Pour illustrer le propos précédent, Orff fait suivre l'amère pensée d'un cygne cuisant en broche. Le pauvre animal se lamente en se souvenant de sa vie et de sa grâce passées, désormais inutiles. Cette scène tragique est traitée de façon parodique, à l'encontre de toute tradition romantique, en utilisant la voix de falsette.

Ego sum abbas - Baryton, Chœur

Un abbé, ivrogne, ressort dépouillé d'une partie de dés avec d'autres buveurs dans une taverne. Il maudit le Destin, lui criant : " Au voleur! " (Wafna !). Cette scène rejoint bien le précepte de Carl Orff, définissant sa musique comme des pièces de théâtre musical.

In taberna quando sumus - Chœur

ru-carmina-buranaVoici un des sommets de l'œuvre : les voix d'hommes seules participent à une bacchanale, véritable orgie, où règne la plus totale débauche sans retenue. " Quand nous sommes à la taverne, nous ne nous occupons pas de l'au-delà. .." entonnent les chanteurs, avant de prendre à partie toute forme d'autorité, du Pape jusqu'au Roi, évoqués en termes paillards, voire obscènes. Jamais avant Orff, vraisemblablement, une telle atmosphère de beuverie n'avait été décrite de façon aussi crue et réaliste.

Troisième Partie

C'est l'amour galant qui revient, en termes élégants et choisis. La musique n'en est pas moins délicate et recherchée.

coupleAmor volat undique -Soprano, Chœur

L'amour vole partout. Le jeune homme est pris de désir pour la jeune fille. Mais on tait ce qui doit suivre. ..

Dies, nox et omnia -Baryton

Le Baryton se lamente, solitaire dans la nuit : " Les voix des jeunes filles me font pleurer. Je les entends soupirer. Respectez ma détresse ".

Stetit puella - Soprano

" Une jeune fille se tenait là, rayonnante telle une rose, et ses lèvres s'entrouvraient. Ah! " Le même passage est répété exactement, sans fioritures, ni retrait, ni ajout. On reconnaît là le style rigoureux de Orff, refusant sciemment tout développement, ou tout traitement contrapuntique d'une mélodie.

Circa mea pectora -Baryton, Chœur

En trois couplets identiques, un homme soupire: " Mon cœur enferme des soupirs causés par ta beauté et souffre pitoyablement ". Les femmes répondent gaiement: " Entonnez un chant de joie, mon compagnon ne tarde pas".

Si puer cum puellula -Baryton, Chœur

" Si un garçon et une jeune fille restent ensemble dans une petite chambre, commence alors un jeu ineffable où les membres s'entrelacent habilement ".

Veni, veni, venias - Chœur

" Viens, viens, ne me fais pas mourir ", entonne le Tutti. Aux descriptions galantes du petit chœur succèdent les moqueurs " tra la la " (Nazaza) de la foule.

visageIn trutina -Soprano

C'est une mélodie lente et pleine de retenue qui évoque les hésitations amoureuses d'une belle. " Entre les deux, mon chœur vacille ; folâtrerie ou bien pudeur ? Je choisis celui que je vois", décide-t-elle finalement.

Tempus est iocundum -Tutti

" C'est la saison de la joie ; jeunes filles et vous jeunes gens, amusez-vous maintenant! " clame le chœur. Ce à quoi une voix répond : " Oh, Oh! Tout en moi s'épanouit. Déjà je brûle pour une Jeune fille. Un nouvel amour me tue ". Orff n 'hésite pas à employer ici un ton enlevé, légèrement facétieux.

Dulcissime - Soprano

Un cri plein de délicatesse surgit soudain, comme le baiser final d'une femme qui se donne corps et âme. " A toi, le plus doux, je me donne tout entière ".

Blanziflor et Helena - Chœur

Suit alors, en un hymne majestueux, l'ode à Blanchefleur, la rose du monde, et à Hélène, la noble Vénus !

O Fortuna - Chœur

C'est la reprise littérale du n°1 qui vient conclure ces Carmina Burana, la Roue de la Fortune ayant terminé son cycle et revenant ainsi à son point de départ.

Laurent Gorgatchev
Dessins de Jean Launay

Les photos du voyage et du concert à Troisdorf